chronique

Hawaii couv

Chronique Hawaii au goût de sel Eidola Editions

Par Le 21/07/2023

Cœurs bleu marine

 

L’histoire en quelques mots

Un pêcheur hawaïen se jette dans les déferlantes avec sa frêle embarcation. Son objectif : se mesurer à Mano la bleue, une femme requin légendaire. Les plans de l’homme ne se déroulent pas comme il l’avait prévu. La créature ouvrira son cœur au pêcheur, et ce qui avait débuté comme une chasse implacable, se transformera peu à peu en une joute d’une tout autre nature. Entre rêve et réalité, entre songes énamourés et cauchemars de tempêtes, l’homme et la bête entreront en collision avec un monde qui n’admet pas les amours hors norme.

 

Perdus corps et âme

L’île d’Hawaï offre un cadre fantasmagorique, propice à la rêverie et à l’extase, entre exotisme dépaysant et déchaînement des éléments.

Le texte de Julie Nakache coule comme un flux ininterrompu qui découpe notre horizon et nous accompagne tout au long de ce voyage poétique et hypnotique. Les mots de l’autrice, qui conte l’histoire dans une magnifique version audio, nous bercent et nous offrent un instant suspendu entre deux rives, entre deux eaux, entre deux mondes : celui de la terre, ancrée dans ses certitudes cartésiennes, et celui de l’eau, baignée de légendes et de magie.

Le pêcheur est d’abord celui qui chasse et qui prend à la nature ce qui n’appartient qu’à elle. Par la suite, il se métamorphose en protecteur de la nature au contact de la bête anthropomorphique. Les illustrations de Zoé Crevette enveloppent le texte de courbes, d’arabesques et de teintes kaléidoscopiques. Nos sens sont chavirés comme l’embarcation du pêcheur et enivrés comme ses sens.

Une troisième dimension s’ajoute à l’ensemble de cette composition extrasensorielle pour nous rendre fanatiques de ce genre d’ouvrages : les notes de Troy Von Balthazar qui nous offrent un décor sonore d’exception. Une extension indispensable qui prolonge la rêverie bien au-delà de l’écoute et de la lecture.

Ces formes d’expression conjuguées participent à l’atmosphère du livre et à son étrange étrangeté. Vous aurez vraiment l’impression de ne pas avoir qu’un livre entre les mains, mais tout un monde avec de multiples facettes.

 

Amor mots à maux

Cette aventure s’imprimera en vous, chères lectrices et chers lecteurs. Vous emprunterez les pas du pêcheur. Vous vous immergerez avec lui dans les flots.

Julie Nakache, par sa voix feutrée, vous servira de guide. Vous aurez, j’en suis sûr, plaisir à suivre son fil d’Ariane. Vous dégusterez ce livre comme l’on déguste une mangue à la chair fraîche et au parfum délicat.

Je vous souhaite de plonger en vous-mêmes et de retrouver une part de votre humanité, une part que nous laissons souvent de côté et que nous mésestimons. Notre véritable nature. Pure, sensorielle, sans artifice et sans calcul.

Hawaii au goût de sel bascule nos sens vers un ailleurs hors du temps et nous offre un message d’une universalité bienvenue dans un monde où nous ne prenons le temps de rien.

Laissez vos yeux s’émerveiller, vos mains courir sur le papier, vos oreilles s’emplir de sons et de voix. Laissez-vous dériver et changez de cap !

La figure mythique de la bête oscille comme entre fascination et répulsion, peur et désir. La sensualité qui se dégage des illustrations de Zoé Crevette, la mélopée obsédante des rythmes insulaires et leurs résonnances dans nos cages thoraciques ébranlent tout notre être et laissent un goût de transe et de transgression sur nos lèvres craquelées par le vent salé.

Legend of the sea

Après Legend of the willow (Julie Nakache, Cécile Vallade, Kramies), dans lequel des chasseurs poursuivaient une femme-louve amoureuse d’un chêne, Hawaii au goût de sel nous parle encore de bête traquée, par des pêcheurs cette fois. Mais ici, l’amour est encore plus charnel et sensuel. Il trouve son apogée dans les flots originels, là où la vie a commencé. Les fluides se mélangent et tout se confond dans cet univers : le haut, le bas, l’eau, la sueur, la beauté, l’horreur, l’espace, le temps.

Le côté sacrificiel effleure la surface de nos cœurs haletants. L’eau est aussi l’élément de la purification. Or, les pêcheurs la souille du sang de l’une de ses gardiennes.

La femme-louve gardait le sanctuaire de la forêt, la femme-requin garde celui des abysses. Ces créatures interrogent la question de l’étrangeté comme La Bête chez Perrault ou la créature de Frankenstein ou encore le monstre du Loch Ness.

Qui fait preuve de la plus grande bestialité en fin de compte ? Est-ce que mettre à mort ces êtres n’est pas une façon déguisée pour ces hommes de racheter leurs propres imperfections ?

L’être le plus abject est celui qui se targue d’être le plus évolué. L’Homme est la seule créature à engendrer sa propre fin, à le savoir et à poursuivre cette voie de destruction envers et contre tout.

 

Conclusion

Bien plus que de sentir le velouté d’un papier, d’expérimenter la beauté des couleurs ou de se délecter de la symphonie des notes et des voix, Hawaii au goût de sel convoque les éléments lors d’un rituel hors des frontières de ses pages. Il provoque nos sens et nous permet de ressentir ce qui existe et ce qui est invisible à nos yeux. Nous touchons un objet tangible et pourtant, nous ressortons de l’expérience avec le sentiment d’avoir touché du doigt l’ineffable.

Peut-être qu’au lieu de tout conscientiser, de tout analyser et de tout vouloir comprendre, nous devrions un peu plus ressentir les choses, nous laisser porter par la vague et rediriger nos énergies vers le plus important : la vie.

Prenez le temps de nous reconnecter avec la vie.

C’est le meilleur moyen de prendre soin de vous et de votre chemin.

Aloha.

 

Hawaii au goût de sel, Julie Nakache, Zoé Crevette, Troy Von Balthazar, Eidola Éditions, 2023

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Chronique BD : L'Ombre des Pins

Par Le 07/07/2023

La chronique classique :

 

Écrire l’ombre sensible

 

L’histoire en bref

Pablo rend visite à sa grand-mère avec ses parents. L’été est là avec sa chaleur propice à la torpeur et aux baignades. Pablo n’est pas là pour divaguer. Il a du boulot pour ses études. La botanique est son champ d’expertise.

La rencontre de Carla changera ses plans. Pablo et Carla se découvre une passion commune : la photographie.

Ils se tournent autour comme deux étoiles tourbillonnant dans la voie lactée. Ils se retrouvent pris dans la tempête de leurs sentiments.

Sans précipitation, ils s’apprivoisent. Un lien étroit voit le jour à l’ombre des pins silencieux.

 

Être ou ne pas avoir Été

Cécile Dupuis et Valérian Guillaume rêvent un été d’amours adolescentes à l’encre de leurs plumes sensibles. De leur collaboration naît un projet photosensible.

La pellicule prend vie et la graphie révèle les couleurs chaudes et froides, les ombres et les lumières. Un décor de l’entre-deux , entre rêve et réalité, entre clarté et flou brouille nos repères.

Les mots se font rares. Ils disparaissent souvent pour laisser la place à des pages sans bulles, mais pas sans respirations et surtout, pas sans sentiments.

Prenez un siège et affalez-vous comme au cinéma, le grand angle, les contre-plongées et les différentes focales vous immergeront dans cet art de dire beaucoup avec peu. Il est temps de faire sens sans en faire trop.

La photographie : l’art d’écrire avec la lumière. Entre ces pages se dessinent des images contrastées. On joue avec nos yeux : noir profond, lumière aveuglante, flous artistiques, silences et économies de lettres.

Tout est subtilement agencé pour créer une atmosphère et nous marquer au cœur. Tout se lit entre les lignes de crayon.

 

C’est beau l’amour, quand il ne se crie pas

Pas besoin de le crier sur tous les toits. Pour Clara et Pablo, l’amour se vit dans des regards, dans des gestes tendres, dans une imperceptible union de leurs parcours. Le temps d’un été, ils se rassemblent. Peu importe si ça ne dure pas. Ils sont différents, mais ils s’accordent.

Leur mélodie n’est pas en sous-sol, mais en sous-marin. Pourtant, tout est clair et net pour les spectateurs de ce récital.

Tout cela semble si naturel que ces deux personnages nous embarquent avec eux. Nous voguons à leurs côtés et nous nous intégrons dans cette nature estivale. Nos sens en éveil et en sommeil. Nos cœurs à l’écoute et sourds à toute distraction. Toujours dans cette idée d’entre-deux.

Pablo et Clara nous font plonger. Tout s’arrête. Pour eux, comme pour nous. Un instant.

Et ça fait du bien de lever le pied, de ne plus penser aux responsabilités, aux examens, aux angoisses et autres tracas quotidiens.

Une pause s’impose et L’ombre des pins nous la propose.

Notre âme ici se repose. Elle prend le temps de contempler et de vivre.

Tout simplement.

Que demander de plus ?

 

Conclusion

Dans notre monde connecté et esclave de la rapidité, un peu de déconnexion et de réconciliation avec nos sensorialités est un remède bien plus efficace que des rivières de pilules multicolores.

La nature est notre alliée pour ne pas finir fioles à lier. Les arbres, les animaux, les nuages, les vagues, les falaises à contempler ou arpenter, rechargent nos batteries faiblardes bien plus durablement que le béton, l’acier, l’argent et l’or noir.

Encore faut-il savoir prendre le temps de voir vraiment. Alors, lâchons un peu nos écrans, ouvrons nos fenêtres, captons la lumière et ressentons les choses sans aucun filtre.

Merci aux créations sensibles de nous aider à voir au-delà de nos apparences.

L’ombre des pins de Cécile Dupuis et Valérian Guillaume, Virages graphiques, chez Payot Rivages, 112 pages, couleurs, septembre 2022